Liste des articles
Capital et Management
Partager sur :
Vue 166 fois
18 mai 2021

Comment le télétravail a mis en lumière les managers introvertis

 Grands gagnants du télétravail, les introvertis, ces managers réservés qui privilégient l'écoute et la confiance, ont aujourd'hui la faveur des recruteurs.


 «Quand j'anime une réunion à distance, assis devant mon écran, mes collaborateurs oublient que je suis un gringalet de 1,60 mètre», jubile ce cadre, jusqu'alors complexé par son absence de prestance physique. Est-ce «la fin des grandes gueules», comme le pronostique Bertrand Duperrin, l'un des dirigeants d'Emakina France, une agence de communication digitale ? Depuis le printemps dernier, la hausse du télétravail imposée par les confinements met en lumière de nouveaux profils de managers, autrefois pénalisés par leur discrétion, assimilée à une absence de charisme. Le monde du travail a longtemps glorifié ceux qui savaient s'affirmer, se faire entendre, se montrer, se mettre en valeur. Mais «le distanciel impose un retour aux fondamentaux du management, où le fond prime sur la forme», décrypte Romain Zerbib, enseignant-chercheur à la chaire Essec Imeo. Eloignés du jeu politique comme de toutes sortes de shows, les introvertis ont désormais les cartes en main pour développer des qualités jusqu'alors sous-exploitées. Revue de détail.

Premier point fort, les introvertis sont à l'aise avec la solitude. «C'est même en elle qu'ils puisent leur énergie, tandis que les extravertis se ressourcent au contact des autres», explique la psychologue Laurie Hawkes, auteure de La Force des introvertis (éd. Eyrolles). Ils ont besoin de ce calme pour réfléchir, méditer, imaginer, inventer. «Eux qui ne souffrent pas de l'isolement sont mieux armés pour le télétravail et moins en danger de perte de repères», pointe Magali Combal, coach et formatrice en développement personnel chez Comundi. «Dans mon équipe, les managers qui souffrent aujourd'hui sont les extravertis, privés de leurs leviers de prédilection – omniprésence physique, discours inspirants, etc. – ceux qui apparaissent en rouge et en jaune dans les fameux tests de personnalité MBTI*», témoigne Charles Chantala, un des directeurs France du moteur de recherche d'emploi Indeed.

A l’inverse, Sandrine, à la tête d'une équipe d'une quinzaine de personnes dans un établissement bancaire, se sent soulagée depuis qu'elle n'est plus forcée de participer à des conversations d'ordre personnel à la machine à café ou de déjeuner avec tel ou tel noyau de collaborateurs. «Ça m'ôte un stress», confesse-t-elle. A l'abri, dans son intimité, plus besoin de dépenser son énergie à cacher sa timidité, tellement mal perçue en entreprise où elle est apparentée à de la faiblesse. La distance lève des inhibitions. «Je ne me focalise plus sur ce que l'on va penser de moi. J'ai davantage confiance, si bien que je suis plus et mieux tournée vers les autres.» Son énergie, elle l'a déplacée au profit de son équipe. Car, en ces temps d'incertitude, les collaborateurs ont plus que jamais besoin d'être rassurés. Bon point : les introvertis sont doués pour la relation personnelle en «one to one». On leur prête un socle commun de soft skills parmi lesquelles la sensibilité – 70% des hypersensibles seraient des introvertis, avance Laurie Hawkes –, l'écoute dans le souci de l'autre et la capacité d'observation. «Précieux, pour détecter à distance les signes faibles de mal-être et autres non-dits», souligne la coach et psychologue du travail Déborah Romain-Delacour.

«Dans le management, il n'est plus question de rapport de séduction mais d'authenticité sur le fond», observe Yves Golder, patron de PME passé aux RH et au commercial dans de grands groupes et qui vient de publier Le Management fertile (éd. Gereso). Signe des temps, les cabinets de recrutement, parmi lesquels Attitudes, sélectionnent désormais les candidats sur des critères de comportement humain tels que l'empathie, le respect d'autrui ou la coopération. «Si bien que des personnes dotées de telles qualités et qui n'avaient pas idée de devenir manager sont détectées pour ces postes», indique Stéphane Thiriet, directeur associé d'Attitudes. Clémence, introvertie assumée et manageuse dans une multinationale de la grande consommation, confirme : «Ceux qui parlaient fort et se consacraient à la politique en faisant cravacher les autres n'ont plus la cote en interne. On leur préfère des profils sensibles, calmes et capables de s'adapter à l'autre.» Du coup, les entreprises sont de plus en plus friandes de formations aux soft skills pour leurs managers. Chez Unow, spécialiste de la formation digitalisée, les clients y consacrent un tiers de leur budget en 2020 contre seulement 12% il y a quatre ans.

Un constat qu’a pu faire Laurent, salarié dans une entreprise de matériel informatique, qui apprécie la qualité des échanges en visioconférence : «La réunion est davantage cadrée, la parole mieux distribuée et les gens sont plus posés. Cela valorise mon manager d'habitude effacé, qui arbitre les échanges et intervient comme une ressource, un support.» Suprême avantage pour les indécrottables timides : on peut désactiver sa caméra. Et même, en tant qu'organisateur, couper le son des participants. Avantage supplémentaire, certains introvertis se révèlent très prolixes à l'écrit. «Dans un tchat, ils arrivent à en placer une. En mode asynchrone, ces réfléchis peuvent se permettre d'être à contretemps, alors qu'en réunion physique, quand ils réagissent avec une minute de retard, l'assemblée est déjà passée à un autre sujet», observe Bertrand Duperrin.

Modestes, les introvertis ne sont pas motivés par la renommée. «Ils laissent leur ego de côté», admire Stéphane Thiriet. Ce qui compte pour eux ? Faire grandir leurs équipes. «Ils sont très appréciés de la génération Y, ces millennials qui veulent qu'on les aide à réussir et qu'on leur donne de la liberté dans l'organisation de leur travail», pointe Philippe Pinault, PDG de Talkspirit, un réseau social d'entreprise. Ils s’avèrent précieux pour l'ensemble des télétravailleurs quand les petits chefs arc-boutés sur le reporting et le contrôle perdent, eux, tout crédit. «A distance, on privilégie la culture du résultat, et donc de la confiance», explique Bertrand Duperrin. Dans le contexte actuel d'incertitude, il est essentiel d'accompagner ses collaborateurs et de reconnaître la contribution de chacun sans tirer la couverture à soi. De dire aussi ses limites. «On n'attend plus le manager parfait qui a réponse à tout, mais le manager sensible», affirme Karen Tuyserne, coach de carrière et auteure du blog Embauchezmoi.org.

On prête aussi aux introvertis l'art d'être à l'aise dans la complexité. «Quand le travail à distance ajoute de la difficulté, ce type de manager a plus d’atouts en main», reconnaît Philippe Pinault. C'est le moment, pour les discrets, de montrer toutes leurs qualités. «Même s'ils ne deviendront pas forcément la coqueluche des entreprises, tempère Laurie Hawkes, tant le culte de l'extraverti a imprégné notre société.» Mais puisqu'on ne sait pas encore «scorer» le leadership à distance, tout juste émergent, le jeu reste ouvert.

Transformer ses faiblesses en forces

Rien de plus difficile en entretien de recrutement ou de promotion que d'évoquer ses défauts. Pourtant, celle ou celui qui ose parler des difficultés rencontrées et qui les aborde avec sérénité donne une image rassurante. Premier conseil : «Proscrivez les défauts en lien direct avec le poste que vous briguez», exhorte Karen Tuyserne, sur son blog Embauchezmoi.org. Affirmer «manquer de rigueur» quand on postule pour un job de «chef de projet conformité» est rédhibitoire. Evitez aussi les faux défauts du genre «Je travaille trop» ou «Je suis perfectionniste». «Ces passe-partout ne sonnent pas sincère, tranche la coach de carrière. Privilégiez un vrai défaut mais que vous avez su corriger.» Par exemple, dites : «Au début de ma carrière, j'étais assez réservé. C'est la raison pour laquelle j'ai choisi d'être téléconseiller, de façon à ne pas être en contact direct avec le public. Au fil du temps, j'ai pris de l'assurance. Aujourd'hui, je suis directeur d'une agence bancaire et je prends beaucoup de plaisir à recevoir mes clients et à dialoguer avec eux.»

Autre option : évoquer un défaut limité dans le temps ou à des circonstances particulières. Pour un responsable comptable, cela peut être d'avouer se montrer impatient lors de la clôture des comptes. Dites : «A ce moment de surchauffe, je mets la pression sur tous les services pour obtenir les éléments.» Précisez ensuite que vous êtes conscient de ce travers d'humeur et montrez comment vous vous êtes amélioré : «Désormais, je m'organise pour récupérer les documents plus en amont.» Dans cet exercice, sachez que l'on cherche avant tout à détecter vos axes de progrès. Vous séchez ? Consultez la liste des 120 défauts avouables par métiers, publiée en ligne sur le blog de Karen Tuyserne.

Extrait de Capital et management

Auteur

Articles liés

Commentaires

Aucun commentaire

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire. Connectez-vous.