Données personnelles : ce que les Gafam savent sur vous
Les données personnelles sont une matière première qui vaut... de l'or. A condition d'être bien recueillies, traitées, analysées. Comment se passe leur «extraction» et qui sont ceux qui profitent de ce juteux business?
Vos habitudes de consommation, vos goûts, vos préoccupations, votre état de santé, vos interrogations, vos amis, et jusqu’à vos rêves. Ils savent tout de vous. Vos meilleurs amis? Non, Google, Amazon, Facebook et Apple, les fameux Gafa, les quatre géants américains qui dominent le Web. «Si vous avez des comptes sur les réseaux sociaux, que vous utilisez un moteur de recherche classique, que vous avez un smartphone avec des applications, toutes les opérations que vous pouvez faire – consulter un site Web, «liker» une page, utiliser une application, envoyer un message, une photo, etc. – seront traitées et analysées», prévient Alexis, membre de la Quadrature du Net, une association de défense des droits et libertés des citoyens sur Internet. Une vraie mine d’or.
Prenons Facebook, utilisé mensuellement par 37 millions de Français selon Facebook France. Vous créez une page, le site vous demande des informations: nom, prénom, âge, sexe, écoles où vous avez été scolarisé, entreprises dans lesquelles vous avez travaillé, etc. Puis il vous propose de liker des pages ou de vous inscrire à des événements, de géolocaliser vos photos. Il connaît donc vos goûts, votre réseau, et les lieux où vous vous rendez. Facebook peut même connaître votre émotion du moment, avec le petit onglet «humeur»! Et ce n’est pas tout: «Si, par exemple, je dis à un ami sur Messenger que je veux m’acheter des baskets rouges, il est fort probable que de la publicité pour des baskets rouges apparaisse par la suite», explique Florence Sèdes, professeure à l’université Toulouse III Paul-Sabatier et spécialiste de systèmes informatiques et de gestion des métadonnées.
Dans un autre registre, Amazon – 22,2% des dépenses en ligne en France selon l’institut d’études Kantar – sait ce que vous avez cherché sur son moteur de recherche, connaît votre panier moyen, et donc votre niveau de revenu supposé, le moment de la journée où vous êtes le plus enclin à acheter, etc. Google (Gmail, Drive, YouTube, Google Maps…) connaît vos recherches sur le Web, les questions que vous vous posez, vos déplacements, vos centres d’intérêt, etc.
Officiellement, les Gafa récupèrent ces informations pour affiner et adapter au mieux leurs services à nos besoins. Mais en réalité, leur modèle économique repose entièrement sur la monétisation de ces données numériques: elles permettent de vendre à des annonceurs des publicités toujours plus ciblées. Facebook, par exemple, en tire 98% de ses revenus annuels. La valeur des données personnelles des internautes européens est estimée à 8% du PIB européen pour 2020, selon le World Economic Forum. Au niveau global, le marché mondial de la donnée personnelle était estimé à environ 188 milliards de dollars en 2017 (164,5 milliards d’euros), dont 162 milliards représentés par la publicité numérique directement liée aux données, selon le cabinet PwC.
Et les fameux Gafa auraient le contrôle sur la quasi-totalité de celles-ci, sans que leurs utilisateurs en aient forcément conscience. «On s’est habitué avec le Web à obtenir des choses sans contrepartie, mais rien n’est gratuit. Si un service est proposé gratuitement, c’est qu’il y a un loup, que l’entreprise se rémunère autrement, en l'occurrence en monnayant votre attention et vos données personnelles», résume Serge Abiteboul, informaticien, chercheur à l'Ecole normale supérieure de Paris (ENS) et à l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria).
Une fois récupérées, vos données sont stockées dans les immenses data centers de ces sociétés. En elle-même, une donnée isolée vaut au plus quelques centimes d’euro. Par contre, différentes données sur vous, croisées et analysées, valent de l’or en matière de marketing. «Elles finissent par former un écosystème numérique qui permet de vous classer dans un profil de consommateur», explique Florence Sèdes. Ce sont ces profils que les Gafa vont ensuite vendre à un annonceur pour faire de la publicité ciblée. Ce dernier pourra ainsi choisir d’adresser uniquement sa publicité au groupe de personnes visé, moindre qu’avec une publicité classique, mais avec beaucoup plus de chances de créer un achat.
Reprenons notre exemple: je crée une petite start-up qui se lance dans la production de baskets écolos en fibre d’ananas, vendues une centaine d’euros. Pour faire mouche, je vais donc par exemple acheter une publicité ciblée sur Facebook en choisissant ce profil: habitants des grandes villes, trentenaires, aux revenus élevés, ayant un intérêt pour les produits bio et végans à faible impact carbone ainsi que pour la mode et les baskets. Seules les personnes qui entrent dans ce profil verront ma publicité s’afficher sur leur fil d’actualité.
Mais combien valent ces données exactement? Facebook assure que chaque utilisateur européen lui rapporte 32 euros de revenus publicitaires annuels moyens. Mais de manière globale, «difficile de répondre», tranche Clément Saad, fondateur et président de Pradeo, une entreprise spécialisée dans la sécurité mobile, «la valeur d’un profil peut varier du tout au tout, de celui qui indique juste que vous faites du sport, à celui qui permet de savoir que vous faites tel sport à tel endroit, tel jour et à telle heure, et que vous êtes du genre à mettre le budget pour avoir du bon matériel, qui sera lui beaucoup plus précieux». Cette valeur varie aussi selon le business final. «Si par exemple je vends un produit à plusieurs milliers d’euros, je vais être prêt à investir dans la publicité très ciblée pour atteindre un petit groupe de personnes, mais en étant sûr qu’ils peuvent potentiellement acheter ce que je leur propose, et là je pourrais peut-être verser des centaines d’euros pour ces profils», ajoute le spécialiste. Une spécificité que Simon Chignard et Louis-David Benyayer, auteurs de «Datanomics» (FYP Editions), résument ainsi: «La donnée est souvent comparée à des matières premières dont la valeur est liée au traitement dont elles font l’objet. Ainsi, l’or, le diamant ou le pétrole acquièrent une grande partie de leur valeur marchande une fois raffinés. L’information, la décision que permet l’analyse des données, a sans aucun doute une valeur d’utilité plus forte que les données elles-mêmes.»
La collecte et le commerce de données personnelles reposent sur des technologies tellement complexes et opaques qu’il est impossible pour un internaute d’empêcher leur récupération, ni même de réellement les «suivre» ou d’avoir une idée de leur valorisation. Mais il est possible de prendre conscience des informations que nous laissons sur Internet et d’utiliser les outils à notre disposition pour essayer de les maîtriser. Entré en vigueur en mai 2018, le règlement général sur la protection des données (RGPD) permet désormais de refuser les balises de suivi et les outils d'analyse du site Web via une bannière qui s’affiche lorsque vous vous connectez à celui-ci. Autre bon conseil: renseignez-vous pour choisir un navigateur, un moteur de recherche, ou des services de messagerie ou fournisseurs d'adresses mail plus respectueux de la vie privée que ceux «offerts» par les Gafa. Et réfléchissez aux informations que vous donnez avant de publier du contenu sur vos réseaux sociaux.
L’enjeu de la prise de conscience citoyenne autour de cette question est d’autant plus important qu’au-delà de l’utilisation marketing invasive, des données personnelles recueillies à l’insu des internautes ont déjà été utilisées de manière illégale, notamment à des fins politiques. En mars 2018, le «New York Times» et «The Observer of London» révélaient ainsi que Facebook avait laissé l’entreprise Cambridge Analytica siphonner sans autorisation les données personnelles de 87 millions d’utilisateurs du réseau social. Le problème: ces informations auraient servi à influencer le vote en faveur de Donald Trump et du Brexit, et peut-être d’autres élections à travers le monde.
Autre bonne raison de prendre conscience de l’enjeu des données personnelles, nous produisons de plus en plus de données numériques, notamment avec l’utilisation croissante des applications mobiles sur smartphone. Celles à qui nous confions nos trajets, l’évolution de notre poids et de notre santé, les horaires et itinéraires de nos sessions de running, notre régime alimentaire, nos goûts culturels, nos voyages, etc. «Certaines peuvent nous géolocaliser même quand elles ne sont pas utilisées. Si par exemple j’ai votre géolocalisation, je sais que vous allez très souvent et plutôt à tels horaires dans tels magasins, ou tel club de sport, et je peux vous proposer une publicité ciblée très finement», explique le spécialiste Clément Saad.
Si certaines applications respectent notre vie privée, deux sur trois récupèrent ainsi des données personnelles à l’insu de leurs utilisateurs, selon la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil). Un espion à même la poche? Un agent double plutôt: qui nous rend de grands services… mais nous les fait payer bien plus cher qu’on ne le croit.
95% du business des données personnelles est détenu par Google, Apple, Facebook et Amazon
Critiqué pour son ciblage ultrapointu et intrusif, Facebook vient d’annoncer que ses membres pouvaient désormais désactiver son algorithme pour voir les contenus publiés dans l’ordre chronologique et non plus en fonction de son profil.
Un ancien chercheur de chez Google, Tim Hwang, vient de publier un livre révélant que la publicité ciblée, qui assure la majorité des revenus du géant californien, dirigé par Sundar Pichai, serait en fait survalorisée. 60% des pubs en ligne ne seraient en réalité jamais vues…
Amazon
Amazon One est un mode de paiement à partir de la paume de la main des usagers… dont les données biométriques sont donc stockées par le géant du Web dans un cloud ultrasécurisé.
Apple
Depuis plusieurs années , Tim Cook et Apple se posent en défenseurs de la vie privée, assurant que «ce qui se passe sur votre iPhone reste sur votre iPhone». Il peut se le permettre, car la vente de matériel représente encore 85% de son business.
Microsoft
Le géant américain du logiciel est aussi un poids lourd mondial du cloud. L’entreprise dirigée par Satya Nadella a ainsi été choisie par la France pour héberger les données de santé des 67 millions de Français.
Source: Capital
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